Accueil Nos points de vue Point de vue #3 : Tomorrow Entretien avec Myriam Maestroni
Ancienne Directrice générale de Primagaz France, Myriam Maestroni a fondé economiedenergie.fr (EDE), spécialiste des plateformes digitales et facilitateur de rénovation énergétique acquis par La Poste fin 2020. Engagée de longue date en faveur de l’environnement et de l’utilisation de l’énergie, elle est également à l’origine de la fondation E5T, un think tank qui réunit les acteurs de la transition énergétique. Myriam Maestroni est également membre du Comité stratégique du fonds Tomorrow d’Initiative & Finance. Entretien.
Quelles sont les principales convictions qui guident votre parcours professionnel et vos engagements ? Et plus particulièrement en matière de transition environnementale ?
Mes engagements se sont exprimés à travers mes choix, et en particulier professionnels. Pendant vingt ans, j’ai travaillé dans le secteur des infrastructures pétrolières et gazières à l’international, jusqu’à être nommée PDG de Primagaz France. J’étais alors convaincue que si le XXe siècle était le siècle du pétrole, le XXIe siècle serait celui du gaz.
Ma prise de conscience a été nourrie par mon tropisme pour la nature, la découverte des travaux du GIEC et le documentaire Une vérité qui dérange d’Al Gore. Ma réflexion a également été alimentée par le modèle de la « service profit chain*» qui théorise l’idée d’une croissance organique profitable rendue possible par un portefeuille de clients satisfaits et loyaux. Ce constat, appliqué au domaine de l’énergie, implique qu’au-delà de fournir un service – par exemple de l’électricité – il faut aussi répondre aux attentes et préoccupations des clients. C’est la création de valeur par les intangibles.
*James L. Heskett, W. Earl Sasser, and Leonard Schlesinger, The Service Profit Chain – How Leading Companies Link Profit and Growth to Loyalty, Satisfaction and Value, 1997
Comment cette réflexion s’est-elle concrétisée ?
Dans les années 2000, la notion d’économie d’énergie gagnait progressivement du terrain. Au sein de Primagaz, j’ai donc créé en 2004 la plateforme « Economie d’Energie », qui aide les clients particuliers à réduire leur facture énergétique. Cette intuition a été confirmée par la mise en place, entre autres, du plan d’action européen « Paquet énergie-climat » en 2008 puis par la COP21. En 2011, je me suis lancée en rachetant EDE et en en faisant une plateforme BtoBtoC et BtoC dédiée à la transition énergétique et à l’économie d’énergie. Entre cette date et octobre 2020, le marché est arrivé à maturité et nous avons accompagné plus d’un million de travaux de rénovation.
En parallèle vous avez créé la fondation E5T…
Effectivement, cette fondation réunit acteurs de la transition énergétique, élus, chercheurs, étudiants et ONG autour d’une réflexion commune – quelles solutions concrètes pour accélérer la transition énergétique ? – et d’une conviction partagée : celle qu’économie et écologie vont de pair. Dans les années à venir, la notion d’économie régénératrice va prendre de plus en plus de poids : non seulement la croissance ne se fait pas forcément au détriment de la nature mais elle peut même contribuer à la régénérer et à la réparer. D’où l’importance de la rénovation énergétique, qui s’inscrit dans cette tendance.
Quel intérêt les entreprises peuvent-elles avoir à s’engager dans la transition environnementale ? Quel rôle peuvent-elles jouer face au changement climatique ?
Je retournerais plutôt la question ainsi : qu’ont-elles à perdre en ne s’engageant pas dans cette transition ? Et la réponse est la suivante : celles qui refusent cet engagement n’ont pas d’avenir. Pensez par exemple à des géants énergétiques américains comme General Electric ou Exxon qui, pour ne pas avoir su s’emparer des enjeux environnementaux, n’en finissent pas de perdre de la vitesse. Leur sortie du Dow Jones, respectivement en 2018 et en 2020, est symbolique. L’autre risque est macroéconomique : plusieurs études soulignent le coût énorme du changement climatique pour les entreprises. À ces dernières, maintenant, de se saisir de cette opportunité et de transformer ce coût en marché.
Après plus de dix années à la tête d’EDE, quels nouveaux challenges voyez-vous en termes de transition énergétique pour les entreprises ?
Elles vont devoir faire leur propre révolution. L’efficacité énergétique est un concept qui, au départ, a été essentiellement pensé pour les immeubles de bureaux. Mais à l’ère post-Covid, il va être nécessaire de mener une réflexion sur le bilan énergétique global des entreprises. Non seulement celui de leurs locaux et infrastructures, mais aussi celui de leurs employés – qui sont de plus en plus en télétravail – et encore au-delà de tout leur écosystème. Cela signifie, par exemple, qu’il faut aller plus loin en matière de compensation carbone, pour prendre en compte l’impact réel des activités des entreprises et éviter le risque de greenwashing. Nombre d’entreprises vont devoir redéfinir leur business model.
Quelles sont les typologies d’entreprises qui peuvent être actrices de la transformation durable ?
Bien sûr, les entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre font partie des priorités et ont beaucoup à accomplir en matière de transition énergétique. Mais ces enjeux concernent tous les secteurs, d’autant plus que le plan de relance de l’économie voulu par le gouvernement intègre la notion de durabilité dans son plan de route. Certains problèmes vont se poser. Par exemple, comment quantifier les efforts entrepris, comment mesurer non seulement les externalités négatives mais aussi les externalités positives ? Il faudra y répondre pour aller plus loin dans la transformation durable – et ces réponses vont venir d’une réflexion collective.
Quel rôle les fonds d’investissement peuvent-ils avoir auprès des entreprises sur ces sujets de transition environnementale ?
Ils jouent un rôle évident d’accélérateur. En mettant en avant les critères ESG ou encore le label ISR, ils ont fait changer, très rapidement, des pans entiers de l’économie en incitant les entreprises à s’intéresser à ces questions, à revoir leur business model et à prendre en compte leur impact. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai accepté de participer à l’aventure du fonds Tomorrow, d’Initiative & Finance, dont l’approche opérationnelle, unique par sa profondeur, doit permettre d’aller encore un cran plus loin dans cette direction. Nous entrons en terra incognita qui va nécessiter coopération et innovation.